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J’ai un enfant mort

Par moments, je réalise. Ma fille est morte. Car oui, elle l’est. Morte. Elle est née. Elle a pleuré. Elle a été dans nos bras. Et elle est morte. C’est tabou. C’est un mot qu’on dit rarement. On préfère choisir « elle est partie », « elle s’est envolée », « elle s’est éteinte ». Mais la vérité, c’est qu’elle est morte. Point. Elle n’a vécu que 4 mois. 4 mois enfermée dans un hôpital. 4 mois avec papa et maman la journée, mais des inconnues la nuit. 4 mois pendant lesquels son pyjama a essuyé les larmes de maman. 4 mois pendant lesquels les yeux de papa lui imploraient son pardon.
Durant ces 4 mois, évidemment que l’on a profité d’elle. Elle en a eu de l’amour ! Et puis c’était la fin. Un gouffre dans lequel on lutte pour ne pas sombrer. Il va falloir apprendre à accepter l’inacceptable. L’inconcevable. Apprendre à pardonner. A soi-même dans un premier temps. Aux autres ensuite. A l’univers et à ce soi-disant Dieu absent. Et puis revenir sur soi car le chemin vers ce pardon-là est beaucoup plus ardu et long que les autres.

On pardonne peu à peu à ces médecins qui n’ont rien su faire. A ces puéricultrices et infirmières qui ont pris notre place. A nos proches qui n’étaient pas assez présents. A ceux qui l’étaient trop. On accepte ensuite quand on ne nous parle pas d’elle, quand ils semblent l’oublier, mais aussi quand on nous en parle trop, quand ils semblent se l’approprier. On comprend que chacun vit le décès d’un enfant à sa manière. Simplement, ne nous en voulez pas si, sur le moment, nos réactions semblent différentes. C’est comme un coup de massue qui s’abat sur nous à chaque fois. On vous déteste de ne pas la citer, de ne pas la mentionner. Mais on vous déteste aussi si vous ne faites que cela, si vous semblez touchés. C’est un combat intérieur permanent. Ne changez pas. Faites comme vous le ressentez car, quoiqu’il arrive, cela ne nous conviendra pas. En tout cas, sur le moment.

Lorsque l’on a perdu un enfant décédé, on réalise ce que la mort signifie. Croyez moi, on ne le sait pas avant ça. Après un deuil, on est triste, dévasté, parfois on a même l’impression que notre monde s’écroule. Lorsque c’est de notre enfant qu’il s’agit, on est mort de l’intérieur. Une partie de nous-même s’en allée avec cette mort dégueulasse. Et, non, le temps ne fera pas son œuvre. Il ne nous guérira pas comme il le fait pour un décès lambda. Car lorsque c’est son enfant qui meurt, c’est notre faute. Et ça le restera. En dépit de tout ce que vous pourrez nous dire, en dépit de tout ce que les professionnels pourront nous dire. Nous n’avons pas su la protéger. Le rôle principal d’un parent est la protection de son enfant. Nous avons échoué. Tous les parents qui ont perdu un enfant ont échoué. C’est ancré en nous. Au plus profond. Derrière toutes les paroles réconfortantes. Derrière nos sourires de « j’ai fait face ». Derrières les 50 séances de psy. Nous l’avons mise au monde, et nous l’avons faite de telle façon que vivre est un calvaire pour elle. Nous n’avons pas su lui créer un foyer de protection.  Chaque fois que l’on respire, ou presque, l’image de notre enfant s’impose à notre esprit. Elle a respiré. Et elle ne le fait plus. On l’a serrée. Et elle nous a échappé.

On ne l’oublie pas. On revoit encore ses grands yeux et son corps si fragile. Et chaque jour on se dit « j’ai une enfant morte ». Cela nous place à part. Sans le faire exprès, on se met une étiquette sur le front. Si on ne le fait, les autres s’en chargent. Ce n’est pas méchant, ce n’est pas voulu, mais ils le font. On voit les regards qui fuient. On entend les silences gênés. Et on comprend. On se surprend parfois à se dire, face à ces mines déconfites, « mince, je dois paraître trop normal ». Car on ne veut pas la célébrer en pleurant. On y pense. On en parle. On sourit. Souvent. Tout le temps. Elle est et restera dans nos pensées, dans notre cœur, dans nos vies, dans notre quotidien. Mais on met un point d’honneur à se rappeler les bons moments. A lui imaginer un ailleurs douillet et heureux. Nous n'avons pas accepté l’inacceptable. Simplement, nous l’honorons en continuant de vivre. C’est difficile, régulièrement. Mais c’est essentiel.

N'ayez pas peur de nous, nous ne vous en voulons pas. Nous n’en voulons pas à votre dernier né. Il ne nous provoque ni douleur ni peine. Nous sommes heureux pour vous.

Dans quelques heures, cela fera 1 an. 1 an que nos cœurs se sont déchirés. 1 an que nos vies ont basculé. 1 ans que l’on ne peut s’empêcher de se demander « pourquoi nous ? ». 1 an qu’on tente de remonter à la surface en regardant nos 3 autres enfants, et en se remémorant ces moments précieux. Pour qu'ils ne gardent que des souvenirs heureux de leur sœur. Qu’ils mettent de côté la douleur qu’elle a éprouvée et se souviennent des câlins. Là aussi, le chemin est long, difficile. Mais il est emprunté, et les sentiers se dessinent devant nous.

A toi, ma fille, nous t’aimons. Tu restes dans nos vies.

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