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Le journal d’un accouchement

Jour 1 : 17/03/2016

RDV à 14h avec la gynécologue pour l’échographie du 3ème trimestre. Rien ne présage le résultat.
Elle me dit de passer dans la salle attenante pour la consultation. J’enlève mon pantalon. Et là, ça commence. « Oulà, vous avez enflé ». Je lui réponds que, en effet, je fais de la rétention d’eau depuis environ 3 semaines. Elle fait une tête qui ne présage rien de bon… Elle m’ausculte. Col fermé. Elle sent le bébé du bas, mais rien d’anormal. Elle prend ma tension. Qui se révèle trop haute. 16/8. Elle me dit qu’elle me la reprendra à la fin de l’échographie. Les bébés vont bien. Bébé du haut pèse 2.2 kilos. C’est bien. Il bouge bien. Son cœur bat bien. Il s’étale dans le ventre. Il a la tête vers le ventre et les pieds de son frère. Ses fesses en haut à droite, et ses pieds vers mon rein droit. Bébé du bas est complètement recroquevillé sur lui-même. Il se présente par le siège et est « en transat ». Son frère l’écrase. Il est donc difficile pour la gynécologue de le peser. Elle estime son poids à 1.7 kilos mais, selon elle, peut se tromper de 200 grammes. Elle espère que la marge d’erreur est « en plus » et pas « en moins ». Elle me reprend ma tension : 14/10. « Je ne vous laisse pas partir ». Pardon ? Douche froide immédiate. Nous n’avions pas prévu ça.

Je vais donc à l’accueil pour enregistrer mon entrée. Puis directement en maternité. Ils me mettent sur un lit provisoire le temps de préparer mon lit, chambre double. Je précise que j’ai demandé une chambre seule. Ok, je serai alors sur la liste d’attente… Une sage-femme me fait une prise de sang. Et elles me font uriner dans un bocal. Pour le contrôle des urines. Ils me placent ensuite le monitoring afin de contrôler les cœurs des deux bébés, ainsi que mes contractions. J’ai en plus un capteur permettant de vérifier ma tension toutes les 3 minutes. Résultats : tension ok, elle a bien diminué. Bébés ok. Pas de contractions. Ben alors laissez-moi partir !

Je suis ensuite la sage-femme dans ma chambre. Occupée par une femme, très gentille. Enceinte elle aussi de jumeaux dizygotes, deux garçons. 5 mois de grossesse. Elle a fait des contractions et est là depuis 12 jours… Elle sort le lendemain matin. Elle est soulagée. Tu m’étonnes… Je suis là depuis à peine 1h30, et ça me gonfle déjà. Je sais, c’est pour le bien des bébés. Et pour le mien. Mais n’empêche. C’est chiant. Elle vient du Bénin. Enfin, vit en France depuis qu’elle est petite. Aînée d’une grande fratrie. 4 enfants je crois. Que des frères. Ses parents divorcent au Bénin. Sa mère part en France avec les petits. D’une maison sur 3 étages, avec jardin, femme de ménage et même cuisinière, ils passent à un petit appartement. Dur le changement. La vie, et son niveau, n’est pas pareil. Bref. C’est sa première grossesse. Traitement. D’où les jumeaux.

Entre les messages que je reçois et la discussion avec cette dame, le temps passe vite. Les parents de Michaël arrivent vers 18h45. Puis Michaël suit vers 19h. Les futurs grands parents partent vers 19h30. Le futur papa est fatigué. Il ne s’attendait pas à ça lui non plus. On ne se verra plus tous les midis. On ne s’endormira plus dans le même lit. Il ne me fera plus son bisou du matin. Et tout ça, on ne sait même pas pour combien de temps. C’est assez dur, niveau émotion. De me retrouver sans lui, les larmes me montent. L’attachement est vraiment une chose impressionnante. On ne se rend pas compte qu’il est là. Présent. Et qu’il nous lie à l’Autre de façon irrémédiable. Un simple petit accroc dans notre quotidien affectif, et c’est la débandade. Les repères s’écroulent. On se sent perdu.

Lorsqu’il part, vers 20h30, la sage-femme arrive pour le second monitoring de la journée. Rebelotte. Battements de cœurs, tension, contractions. Tout est normal. Mais elle m’explique que ma tension est « normale mais à la limite ». De plus, mes résultats sanguins sont tout à fait normaux. Juste une petite carence en fer, chose normale pour une grossesse. Je me verrai donc administrer tous les matins une petite pastille rose pour combler ce manque. En ce qui concerne les urines… Les résultats finaux sont attendus sous 48h (ha, donc je reste au minimum 48h…), mais, une petite bandelette magique a confirmé que j’avais un peu trop d’albumine. C’est ce qui provoque la hausse de tension, les œdèmes, ainsi que un des deux bébés grossisse moins vite. Il faut donc voir comment réagit mon corps, et les bébés jusqu’à la naissance. Ils vont m’injecter deux soirs d’affilé un produit permettant le développement pulmonaire, surtout pour le petit, dans le cas où la naissance serait plus tôt que prévu. Je lui demande donc si elle pense qu’ils vont me garder jusqu’aux naissances. Franchement, elle pense. Car même si l’accouchement n’est pas lancé plus rapidement, il faut surveiller tension et bébés… Re douche, mais non froide, glacée. Super… Encore 3 semaines à la clinique. Toute seule tous les matins, midis, et soirs. Sans voir les petits bouts car visites interdites aux moins de 12 ans… Je sais, c’est pour le bien des bébés. La gynéco m’a dit que son but était de ne pas faire venir Ezra et Yoni avant début avril.

Enfin, après cette bonne nouvelle, nous discutons encore avec la femme d’à côté. Puis extinction des feux aux alentours de 23h30, après avoir pris une douche. La nuit se passe bien. Il fait quand même chaud ! Réveillée trois fois. Mais entre ces pauses, le sommeil est correct.

Jour 2 : 18/03/2016

« Bonjour, petit déjeuner. Vous voulez café ou thé ? » 7h25. Fichtre.
Ok, ça sera un café. Je prends le temps de petit déjeuner, puis file sous la douche. Le premier monitoring de la journée ne devrait pas tarder. Et je fais bien. Il arrive vers 8h30. Les cœurs des bébés sont ok. Même si Yoni est difficile à capter. Ma tension est plus que correcte (12/8 de moyenne), et toujours pas de contraction. En tout cas rien d’alarmant. Elle repart puis nous continuons notre discussion avec ma voisine de lit. Son mari ne devrait pas tarder pour la ramener chez elle. Aux alentours de 10h, il arrive. Je ne sais pas sur qui je vais tomber à la place. On sait ce qu’on perd mais pas ce qu’on gagne. Je file dans la salle de bains pour mettre un pantalon plus décent (j’étais en bas de pyjama), et pour tenter d’aller aux toilettes. Echec. Je décide de me maquiller. Car, je ne savais pas mais, à la clinique, on se sent sale. Même si on se lave. Alors autant être présentable un minimum. Le temps que je me maquille, une femme de ménage arrive, pour changer les draps, etc. Ma future compagne de chambre ne va pas tarder… J’en profite aussi pour ranger mes affaires dans le placard. Un peu.

Et puis elle arrive. Là, j’ai comme un gros frisson qui me parcourt le corps. Un « ho non » qui me traverse les entrailles et qui veut sortir en hurlant. Alors, c’est vrai, j’aime mon petit confort. Mais quand même… Il n’y a pas que ça… Femme type sud-américain. Avec un fort accent. Elle émet des gémissements, des grognements. Et, qui plus est, elle vomit… Avec des gros bruits qui soulèvent le cœur. Ça va bien se passer… Il ne faut pas se baser sur la première impression, je sais. Mais, en véritable égoïste, je ne supporte pas la maladie des autres. Surtout que moi, je suis rarement malade. J’ai de la chance, je sais. On ne peut pas en dire autant de tout le monde. Alors je devrai me montrer compréhensive. Mais… Non, je n’y arrive. Tout ce qui me vient à l’esprit c’est que je vais devoir partager la salle de bain avec cette personne. Que je vais l’entendre gémir et devoir supporter ses plaintes incessantes. Que je vais devoir utiliser les mêmes toilettes. Ces toilettes mêmes où elle vomit. Le temps file. Non, il rampe. Qui plus est, je n’ai pas de télé. Toujours pas. J’ai beau la demander. Rien. A côté de moi, elle fonctionne pourtant. Bon, je me dis que deux télés en marche en même temps, c’est moyen pour l’écoute. On se console comme on peut.

A partir de maintenant, les détails seront moins présents. Je reprends ce journal le 8/05/2017. Soit plus d’un an plus tard. Le temps a filé pour le coup. On se dit qu’on le reprendra plus tard, puis « plus tard » devient des jours et des mois. Et la mémoire me fait défaut. Les souvenirs ne sont plus aussi précis. Ils sont plus flous. Voire inexistants par moment.

La télé ne vient donc pas. La femme d’à côté est toujours autant présente. Elle n’en revient pas comme je bouge. Comme je me lève. Il faut dire qu’elle est à 2 mois. Que toutes ses grossesses se sont passées ainsi. Difficilement. Beaucoup de douleurs dès le début. Alitée à chaque fois. Je me dis encore que j’ai beaucoup de chance. Que malgré deux bébés, tout va bien. Ils ne me font rien sentir. Pas de vomissement. Pas de crise douloureuse. Pas d’insomnie. Juste un mal au rein droit, de temps en temps (le pied d’un des bébés !). La journée passe avec une visite aux alentours de 16h de ma belle-mère et sa maman, et de ma soeur. J’entends ma voisine de lit qui ne s’arrête pas. La télé qui n’arrive pas.

Et puis la gynécologue arrive. Elle me dit que les bébés vont bien. C’est l’essentiel. Mais que Yoni a fait un « arrêt de croissance ». Il ne grossit plus. Donc, si rien ne se passe naturellement, ils pratiqueront une césarienne le 23/03. La date d’anniversaire de leur grand-père maternel. Elle me laisse sur cette information. Allez, avale. On ne s’attendait pas à voir les bébés si tôt. Mi-avril, on nous avait dit. Ils étaient prévus pour le 7 mai, mais on nous avait assuré que ça serait au plus tard le 15 avril. Et me voilà avec 5 petits jours restants. 5 petit jours et je verrai leur bouille. 5 petits jours et je pourrai les serrer dans mes bras. 5 petits jours et nous serons une vraie famille. J’appréhende, mais ai tellement hâte en même temps. Et puis, il faut l’avouer, moins je reste ici, mieux je me porte. Tellement envie de retrouver mon chez moi. D’être à nouveau avec Michaël le plus de temps possible. Et si en plus on ramène les bébés, alors que demander de plus.

Michaël arrive et on passe la soirée tous les deux ici. Après maintes et maintes demandes, on finit par avoir la télé. Alléluia. On se met devant Kho Lanta. A la fin de l’épisode il part. J’ai envie de pleurer. Je me sens seule. Je déteste la clinique. Et puis cette sensation de ne rien pouvoir faire car je ne suis pas seule dans la chambre. Ce n’est pas faute de demander. J’essaie de vite m’endormir.

Jour 3 : 19/03/2016

Je me réveille en plein milieu de la nuit, vers les 4h, avec une envie intenable de soulager ma vessie. Je me lève, et je vais aux toilettes. Puis je me recouche. 30 sec plus tard je me relève. J’ai l’impression que je ne suis pas restée assez longtemps sur le trône. Je sens des gouttes. Sérieusement ?! Je ne peux même plus me retenir maintenant ? Ou alors je n’ai tellement pas de patience que je ne suis pas capable d’attendre la dernière goutte ? Je cours dans la salle de bain (enfin, salle d’eau, car il n’y a pas de baignoire ! Tout de même !), et je retente la petite commission. Echec. Je retourne me coucher. Et rebelotte. Je cours. Je m’assoie. Rien. Je me lève, je me rhabille, et là je me fais dessus. Punaise ! Rendez-moi mon ancienne vessie ! Celle qui pouvait se retenir ! J’essuie tout tant bien que mal. Et tout ça sans réveiller la dame qui dort paisiblement dans le lit à côté du mien svp ! Et puis je me recouche. Ça m’est déjà arrivé à l’appartement. J’ai eu « une fuite ». Je croyais que j’avais perdu les eaux, alors je suis allée à la clinique. Et rien. Je ne m’étais simplement pas retenue. Alors là, je ne panique pas et je me dis que c’est la même chose.

7h00. La sage-femme arrive pour le premier monitoring de la journée. Je lui raconte mes péripéties de la nuit, et elle me répond qu’elle va faire un test. Elle s’en va. La femme du petit-déjeuner arrive. J’ai le temps de le prendre, tranquillement. J’ai même le temps de me laver. Elle arrive enfin avec son test. Il est 8h45. Résultats immédiats : la poche des eaux s’est percée. Ha oui ?? Ils veulent donc sortir avant mercredi les petits monstres. Elle me dit donc que je vais accoucher aujourd’hui. Dans l’après-midi. J’ai le temps. Pas d’inquiétude. J’appelle Michaël. Je le réveille. Il me dit « Quoi ? Aujourd’hui ? Holala je suis pas prêt ». Ils nous prennent aux dépourvus ces petits êtres. Si on n’avait pas compris, à partir de maintenant, ce sont eux qui décident. « Hey les parents, votre vie c’est en fonction de nous maintenant, et pas l’inverse ». Ok, c’est noté. Je raccroche. Michaël se prépare et arrive. La sage-femme revient « j’ai vu avec le gynécologue, finalement se sera en fin de matinée ». Fin de matinée ? Mais il est 9h30. Ça veut dire quoi ? 11h ? Elle revient 10 min plus tard. « Finalement c’est maintenant ». Maintenant ? C’est une blague ! Michaël n’est pas là ! Elle me rassure et me dit que j’ai le temps de l’appeler, le temps qu’ils se préparent au bloc. Gloups. Au bloc… Je l’appelle illico. « T’es où là ? » « Je suis en chemin » « D’accord… Non parce qu’en fait c’est maintenant ». Pris de panique, le papa a peur de ne pas arriver à temps. « Dis leurs de m’attendre. Je suis là dans 10 min ». Je le dis à la sage-femme. Pas de soucis, il sera là à temps. Elle me branche. Fais je ne sais quoi. Je ne vois rien. Je suis ailleurs. Michaël arrive. Ouf. Il me rassure. Mais il ne fait pas le fier. Je n’ai pas peur. C’est bizarre. J’avais juste la trouille qu’il n’arrive pas à temps. Il est là. Alors je sais que tout va bien se passer. On sort de la chambre. On descend d’un étage. Moi dans le lit, lui à côté. Et on tombe sur son père. Tien, qu’est-ce qu’il fait là ? Voilà tout ce que j’arrive à penser. En fait, j’ai la tête vide. L’esprit je ne sais où, mais pas ici. Apparemment je souriais. Je ne me souviens pas. Je me souviens simplement que j’étais dans le néant. Et là on m’arrache à ses mains. Il me dit « je t’aime. Courage. Je suis fier de toi ». Il me connaît par cœur. Il sait quels mots j’aime entendre.

Direction la salle d’accouchement. Enfin le bloc. Puisque ce sera une césarienne. On m’installe. Mon Dieu cette sensation d’être inutile. On me soulève. On m’allonge. Et puis on me dit de m’asseoir. Anesthésiste. Piqure. Aïe. Ils sont très gentils, très détendus, cherchent à me mettre à l’aise. Les sages-femmes présentent m’expliquent tout. Puis l’anesthésiste. Il me dit qu’il restera à mes côtés tout le long, « de l’autre côté du drap ». Il est rassurant et compréhensif. Le gynécologue arrive. Je ne le connais pas. La mienne ne travaille pas ce matin-là. Il a un accent. Amérique du sud, quelque chose dans le genre. Il fait marrer les personnes sur place. L’ambiance est très « à la bonne franquette ».

Je tremble. Je ne peux pas m’en empêcher. Je tremble. Sans cesse. Comme si j’avais très froid. Mes bras ne se calment pas. Pour ce qui est d’en dessous de mon ventre, je ne sais pas. Je ne le sens pas. Je leurs demande pardon. Leurs dis que ce ne doit pas être évident avec quelqu’un qui n’arrête pas de bouger. Ils me répondent de ne pas m’inquiéter. Que je suis parfaite. Que tout va très bien. Je dis au gynécologue « je ne sais pas comment vous fonctionnez d’habitude, mais svp, ne dites pas ce que vous êtes en train de faire ». Il me dit ok. Ça commence… Il dit quand même « scalpel ». Mon Dieu. Ils vont me déchiqueter. Je vais avoir mal. Ils vont m’ouvrir. Ils vont m’ouvrir le ventre ! Ils vont arracher les bébés. Ils vont mettre les mains dans mon ventre. Ils vont écarter ma peau… Faut que j’arrête de penser à ça car je tremble de plus belle. Je respire. Grande inspiration. D’ailleurs l’anesthésiste qui me tient la main me dit « pffooouuu respirez. Voilà ». Je sens que ça tire. Ça ne me fait pas mal. Mais je sens que ça tire. Que ça trifouille. Que ma peau est écartée de part et d’autre. Ça doit être bien dégueulasse. L’anesthésiste me dit « il va chercher le premier bébé. Voilà. Il est sorti. Il est tout petit dis donc ». Yoni. Puis « C’est parti pour le deuxième. Le voilà ». Ezra. Et là, j’entends les pleurs d’Ezra. J’entends sa petite voix. Mais… « Le premier bébé n’a pas pleuré. Je ne l’ai pas entendu. Il va bien ? » Ma voix est chevrotante. J’ai mal au cœur. J’ai envie de pleurer. Dites-moi que tout va bien. Svp. La sage-femme me dit « je vais voir ». J’attends. C’est long. Le gynécologue dit « 10h33 et 10h34 ». Heures des naissances. J’attends encore. Qu’on me rassure. Qu’on me dise qu’il est parfait. Qu’on me dise qu’il n’est pas sorti trop tôt. Ou trop tard. Après 3 minutes qui me paraissent une éternité, la sage-femme revient et me dit « tout va bien. Vos deux bébés vont très bien ». Je suis rassurée. Je ne sais pas pourquoi, j’ai des larmes qui coulent.

Le pédiatre arrive pendant que gynécologue et assistants s’affairent à me recoudre. Il me dit « un de vos deux bébés est beaucoup plus petit que prévu, on ne va pas pouvoir le garder ici ». Douche froide. Comment ça ne pas le garder ici ? Mais où vont-ils me l’emmener mon Yoni ? Et Ezra ? Un ici, l’autre là-bas ? Il me rassure en me disant qu’ils vont tout faire pour ne pas les séparer. Bon, sinon, je peux les voir mes bébés ? Non. Ha oui… Ils me descendent en salle de réveil. Et j’attends là. Avec une sage-femme, d’accord. Mais avec l’impression d’être seule. Si seule. Elle me dit que je ne verrai pas mes bébés. Qu’ils vont partir directement dans un autre hôpital où ils seront pris en charge. Pardon ? Je ne pourrai même pas voir leur petit visage ? Je ne pourrai pas les toucher ? Et jusqu’à quand ? Pas avant le lendemain. J’ai envie de m’effondrer. J’ai envie d’hurler et de lui cracher un « tu te fous de ma gueule ? ». Elle me dit qu’elle ne trouve pas ça normal, et qu’elle va tout faire pour que je puisse les voir. Même 5 minutes. Merci Madame. Elle me rend le sourire. Elle me sauve. Elle sort, puis revient. Me parle. Ressort. Revient. Et le temps passe. Au bout d’un moment je lui demande si, à défaut de voir mes amours, je ne peux pas voir le papa. Elle me dit que normalement non, mais qu’elle va voir. J’attends. Et Michaël finit par arriver. Il a l’air heureux et rassuré. Il sourit quand il me voit. Il me dit qu’il a fait des pieds et des mains pour venir me voir. Il a vu les bébés. Il a porté Yoni. Il a fait du peau à peau. J’ai les larmes aux bords des yeux. Je suis contente oui, qu’au moins un des deux ait pu montrer à ces bouts de choux qu’ils ne sont pas seuls. Qu’ils ont été attendus. Qu’on est là. Pour les protéger et les aimer toute notre vie. Mais j’ai quand même un petit pincement au cœur de ne pas avoir pu leurs dire « coucou c’est maman ». Ils ne savent pas que je suis là. Ils pensent sûrement que je les ai abandonnés. Et il me montre les photos. Mon Dieu qu’ils sont beaux. Tellement petits. Tellement fragiles. On les sent déjà « liés » sur les photos. Je passe les photos et je vois… Son père. Son père avec mes bébés. Comment ? Il les a vus ? Mon émotion redescend aussi vite qu’elle est montée grâce à leur bouille si adorables.

Michaël est content que j’aille bien. Il avait peur. Il est très affectueux, très câlin. Il me rassure. Et puis d’un coup, j’ai un flash. Mais si tu es là avec moi, qui est avec eux ? Les sages-femmes. Le médecin. Non. Hors de question. Je ne veux pas. Je préfère rester toute seule ici et que lui retourne auprès d’eux. Ils ont besoin de nous. Il faut être là. Il me dit d’accord, et je le vois s’éloigner.

J’attends que le temps s’écoule. Je discute avec la sage-femme présente. Elle fait des allers-retours entre ici et je ne sais où. Et puis à un moment elle me dit « c’est bon. J’y suis arrivée. Vous allez les voir avant qu’on les change d’hôpital ». Explosion de joie. Mon corps tremble d’excitation mais aussi de peur. Je ne vais que les voir. Je ne pourrai pas les porter. Vais-je le supporter ? Ne vous inquiétez pas mes bébés, maman est là. Maman arrive.

Les secondes deviennent des heures. On repart. Moi allongée. On arrive dans une pièce et on me dit qu’ils vont arrêter les bébés ici avant de les mettre dans l’ambulance. Michaël est là. Et là une couveuse arrive. Avec deux bébés dedans. Mes bébés. Ridiculement petits, mais tellement magnifiques. Je vois en premier celui qui est devant. Il est tout petit, je dis « ho Yoni ». Michaël me répond « non, c’est Ezra ». Quoi ? Mon regard file vers le fond de la couveuse et, en effet, un bébé encore plus petit est là. Bien lové. Les 2 sont branchés de partout. J’ai envie de pleurer. Ils me disent que je peux passer la main pour les effleurer. Les effleurer… J’ai tellement envie de les serrer contre moi. J’ai tellement envie de les bisouiller. Et ils me disent de les effleurer… Je me rattraperai, je le sais. Mais j’ai mal au cœur. Je leurs dis que je les aime. Ma voix est chevrotante, je ravale les sanglots. Je veux être forte pour eux. Ils le méritent. Je les regarde. Je ne détache pas mon regard de ces deux petits êtres merveilleux. Et puis c’est la fin. Ça n’a duré que 5 minutes. Ils doivent vite partir dans l’autre hôpital. Là où ils seront pris en charge. Je les vois s’éloigner. J’aimerai tellement qu’ils restent là. Mais impossible, Yoni est trop petit. 1kg300. A 200 grammes près, ils pouvaient le garder ici. Il va bien. Ezra est plus gros. 2kg300. Il va bien aussi, mais il a juste besoin d’une petite aide respiratoire. Je les aime déjà plus que ma vie.

On me remonte dans ma chambre. Suivie de Michaël. Le temps d’envoyer des messages à tout le monde. De rassurer tout le monde. De manger. La fin de matinée et le début d’après-midi passent sans que je ne m’en rende compte. Et puis Michaël est là. Alors ça évite de réfléchir. Mon frère, ma sœur, son mari et leur aîné (mon filleul) viennent vers les 16h. Le petit ne peut malheureusement pas monté, alors son papa reste avec lui dehors et Michaël descend les voir. Tout le monde est déçu de ne pas voir les bébés, évidemment. Mais tout le monde est heureux qu’ils aillent bien. Ils ne disent rien, mais je le vois. Je le vois sur leur visage, surtout mon frère, qui n'arrive pas à maîtriser ses émotions, qu’ils sont inquiets. Ils font bonne figure mais espèrent juste une chose, que nous récupérions vite les petits. Ma soeur prend même le temps d'aller expliquer gentiment à l'accueil quelques points qui ne vont pas. Inacceptables selon elle. « Elle a eu des jumeaux, merde. Vous comprenez ou pas ». Chambre double, not acceptable. So, moove, now! 

En fin d’après-midi, je dis à Michaël d’aller voir nos enfants. Que oui, ça me crève le cœur de ne pas y aller, mais, encore une fois, je veux qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls. Je veux qu’il y ait une présence auprès d’eux. Même si ce n’est pas la mienne. Alors il s’en va. Et je reste là. C’est là que le flot de pensées arrive. Incessant. Sans que je ne puisse le contrôler. Ce qui devait arriver, arriva. Elles arrivent. Elles sont là. Elles roulent sur mes joues. Je suis inondée de larmes, et j’ai l’impression que je ne me sortirai pas de ça. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai failli les tuer. Ils n’étaient pas protégés à l’intérieur de moi. Même ça j’ai échoué. Pourtant on dit que le ventre d’une mère est l’endroit le plus sûr pour un bébé. Pas chez moi. Chaque jour qui passait, je les essoufflais un peu plus. J’aurai dû moins marcher. J’aurai dû rester couchée. J’aurai pu éviter tout ça, j’en suis certaine. Les idées noires déferlent en moi. Je ne les ai même pas tenus dans mes bras. Je les ai à peine vus. Et c’est là que ça me revient. Mon beau-père était là. Il les a vus. Avant moi. J’ai envie d’hurler. Ce n’est pas juste. Ce n’est pas normal. Pas normal qu’il ait été là d’ailleurs. Je lui en veux. J’en veux à Michaël de l’avoir laissé faire. C’est dégueulasse. C’est injuste et dégueulasse. Mes bébés auraient dû me voir moi en premier. Au lieu de ça, ils ont vu leur grand-père. Je l’aurai amère toute ma vie. Je pardonnerai, oui, mais n’oublierai pas. Le prochain, je ne veux personne avant d’avoir profité de mon enfant. J’ai la rage. Et dire que je ne peux pas les voir. Ils sont seuls. Tellement petits. Si fragiles. Sans maman. Ni papa. Une sage-femme vient et me demande si je souhaite être transférée dans le même hôpital. Evidemment. Quelle question. Elle me dit qu’il n’y a pas de place pour l’instant, mais que mon dossier a été transmis. Je lui demande alors quand je pourrai voir mes petits. Elle me dit sûrement demain, si je vais bien. Si je vais bien… Si je vais bien. Est-elle complètement idiote ? Evidemment que j’irai bien. Evidemment que je pourrai marcher. Evidemment que je verrai mes bouts de chou.

Peut-être est-ce ce petit bout de phrase, ce « si vous allez bien », je ne sais pas, mais alors, je suis au mieux. Les sages-femmes n’en reviennent pas comme j’arrive à me lever, à marcher. Mon corps extérieur et intérieur est au mieux. Tout est parfait. Je vous l’avais dit que j’irai bien… L’esprit contrôle le corps parfois. Je m’en rends compte à ce moment-là. Mais malgré ça, je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer. Je sais que c’est de ma faute. J’en suis intimement convaincue. Mes amours…

Michaël finit par revenir. Il est aux anges. Comme je le comprends… Il me montre des photos. Ils sont tellement petits. Et ils continuent de ne pas savoir qui est leur mère. De l’eau coule de mes yeux. Encore. Michaël me console. Il me certifie que ce n’est pas ma faute. Que je vais rattraper ces heures perdues. J’aimerai le croire. La soirée se passe devant la télé. Il décide qu’il restera dormir ici. Sur le canapé. Il ne passera évidemment pas une bonne nuit…

Jour 4 : 20/03/2016

Le lendemain matin, la première chose que j’ai en tête est « quand les verrai-je ». Ils me disent que je pourrai y aller en tout début d’après-midi. Après le repas. J’exulte. Mais le temps va me paraître long. Elle m’annonce en prime que lorsque je reviendrai de ma « visite », j’aurai une chambre seule, merci Sophie! Que de bonnes nouvelles ! La matinée passe entre excitation et préparation des affaires. Et de moi. Il est hors de question que me bébés me voient non apprêtée. Je sais que ça aurait été le cas si tout s’était passé normalement, mais je ne sais pas, c’est psychologique. Je les ai fait attendre. Je ne veux pas qu’ils aient attendu pour rien. Je serai, dans la mesure du possible, parfaite pour eux. Les heures passent, telles des minutes. Puis le plateau repas arrive. Ça y est. Le moment est là. Presque. Ils sont lents. Ils prennent leur temps. Je ne vois arriver personne. Et puis l’ambulance est là. Je suis transportée sur un lit jusque dans le véhicule, accompagnée du papa, bien sûr. Et nous voilà partis voir nos deux petits êtres.

Je suis dans un état indescriptible pendant tout le trajet. Mélange de peur, d’envie, de joie. Je tremble. Je n’entends rien. Je veux crier. Je veux pleurer. Mais plus que tout, je veux arriver.
Arrivée à la néonatalogie de Lyon Sud. On nous explique tout le protocole que nous aurons à respecter à chaque visite. Sur-chaussures. Combinaison bleue. Se laver les mains et les poignets. Et on y va. Ils sont là. Dans la première pièce. A droite, Ezra. Au fond à gauche, Yoni. Je commence par celui qui est devant, Ezra. Il est tellement petit. Tellement beau. Je le touche. Je lui dis que maman est là. Je retiens mes larmes. Je ne veux plus le lâcher. Mais Yoni m’appelle en silence. Je vais le voir. Mon Dieu. Encore plus petit. On dirait qu’il est mal formé. On m’explique tout de suite qu’il est né tellement petit qu’il ne paraît pas totalement formé, mais qu’il l’est. Son cerveau est totalement au point, juste que son corps ne suit pas encore. Alors il a une tête plus grosse. Tel un extra-terrestre. Mais qu’il est beau.

L’après-midi passe à une allure folle. J’ai eu le droit à 3h30 de visite environ. Nous jonglons entre les deux petits. Pour que chacun ne soit jamais seul. Je revis. Je suis tiraillée entre mon bonheur inégalable de les voir, et la prise de conscience que je vais devoir les quitter. J’essaie de garder en moi que le positif. Ce sont de vraies éponges. Il faut être fort, heureux, confiant devant eux.

Ce jour-là a été le premier jour du reste de ma vie. Pendant 1 mois et demi, nous irons tous les jours les voir. Tous les jours leurs parler. Essayer de leurs faire oublier cet environnement et leurs prouver qu’ils peuvent compter sur nous. Nous serons là. Tout le temps. Toute leur vie. Et ça commence maintenant.

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