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La baffe de ma vie

J’ai pleuré. Beaucoup. Souvent. J’ai tellement pleuré que je pensais à chaque fois que je ne pourrai plus. Que j’avais épuisé le stock de larmes. Que j’avais compris. Que je l’avais intégré. Tu vas mourir.

Tout a commencé avec cette nouvelle qui m’a détruite. Enfin, je le croyais. Les mots de la pédiatre ont été « Est-ce que vous trouvez qu’elle ressemble à ses frères et sœurs ? ». J’ai compris. Tout de suite. Et les vannes se sont ouvertes. Je le pressentais. Tout au long de cette grossesse, je pressentais que quelque chose allait arriver. A toi, ou à moi. J’ai pensé plein de fois à la trisomie. J’ai vu beaucoup de témoignages à ce sujet pendant cette période. Pourquoi ? Je ne saurais le dire. Mais je ressentais la nécessité de m’intéresser à cet univers-là. La vie des parents d’enfants trisomiques.
Ma première réaction a été le rejet. Tu n’es pas belle. Je ne t’aimerai jamais autant que tes frères et sœurs. C’est sûr. J’en suis persuadée. Ce refus d’amour a duré une journée. Le lendemain, on nous annonce que tu as peut-être un souci au cœur, que tu vas être transférée dans un hôpital de cardiologie. Je me dis alors que c’est un signe. Que tu ne dois pas vivre.
Oui, j’ai eu ces pensées horribles. Non, je ne me suis pas sentie mère, ta mère. Oui, j’ai regretté cette grossesse. J’ai hurlé de rage, de désespoir. Pourquoi je suis tombée enceinte, putain, pourquoi ?

On va te voir dans ce fameux hôpital, on est distant. On attend le verdict. 5 jours. C’est le temps qu’il te reste. On retourne te voir, et là, l’affection me vient. A ce moment-là. Alors que je te sais condamnée. Je te regarde et je vois simplement ma fille. Ce petit être tellement minuscule. Ce petit visage qui, quoiqu’on en dise, ressemble à sa sœur. Ce petit bout qui a grandit en moi. Je ne vois aucun syndrome de Down. Aucune malformation cardiaque. Je sais juste que je t’aime du plus profond de mon être. Et je me déteste. Je me déteste d’avoir pu avoir de telles pensées. J’hurle de nouveau. Mais pas pour les mêmes raisons. Pourquoi ça nous arrive, pourquoi à nous, bordel ? Qu’est-ce qu’on a fait ? De quoi nous puni-t-on ? J’imagine ton corps si minuscule dans un cercueil et mes yeux débordent. Je ne peux plus m’arrêter. Comment c’est possible ? Comment c’est possible de faire ça à un enfant ? Qui n’a rien demandé. Qui avait juste envie de vivre. De se retrouver dans une famille qui la bouffe de bisous. Comment c’est possible que des trous du cul de terroristes vivent encore, et qu’elle, elle va mourir ? C’est dégueulasse, putain ! C’est injuste. Je m’épuise dans ces réflexions. Mon oreiller est devenu une éponge. Mes mains me font mal à force de me défouler sur mon lit. Chaque jour, ma douche est un mélange d’eau et de larmes. Ma peau devient marquée.
Et on va te voir. Tous les jours. Et chaque jour qui passe nous rapproche de ce 5ème jour fatidique. Et chaque jour qui passe, nous t’aimons un peu plus. Puis, on nous annonce que tu vivras finalement quelques semaines. Puis on nous dit quelques mois. On nous parle même de 2 ans. On est perdu. On maudit ces médecins qui ne se mouillent pas. On maudit ces médecins qui n’ont aucune once de psychologie.
Je suis partagée entre 2 sentiments. Je veux profiter de toi. Je veux te sentir contre moi. Te renifler. M’imprégner de ton odeur. Me souvenir de chaque mouvement. Je te veux ici. Au creux de mes bras. Et toute ma vie. Je suis fière de toi. Mais je veux aussi que ça se termine. Vite. Je veux passer à autre chose. Faire le deuil de cette famille de 4 enfants que je n’aurai jamais. Faire le deuil de cette 2ème fille avec qui partager tant de choses. Arrêter cette douleur qui me noie. Arrêter cet espoir que je ne peux empêcher de m’envahir chaque seconde que je passe avec toi. J’ai mal. Super mal. Et jamais ça ne s’arrêtera si cette situation perdure. Jamais je ne t’oublierai, tu seras toujours une partie de moi, mais je veux que tout ça devienne vite des souvenirs.

Chaque jour, nous avons les yeux rivés sur cette machine qui nous donne ta pulsation cardiaque et ta saturation. Ton taux d’oxygène dans le sang est faible. Bien trop faible pour pouvoir survivre. Mais tu es encore là. Et plus les jours passent, plus tu souris. Plus tu reconnais tes proches. Plus tu nous agrippes. Plus tu réagis à nos mots, à nos câlins. Alors on se demande pourquoi tu ne pourrais pas vivre. Mais les médecins sont formels. Non, ce n’est pas viable. Tu vas t’éteindre. Simplement, on ne sait pas quand.
Alors on profite. Encore, et toujours. On te mange. On te parle. On te câline. On s’occupe de toi comme si tu étais la seule. En 2 mois de vie, tu as reçu plus de bisous que tes frères en 4 ans. Et pourtant, le challenge était sacrément difficile. Voire impossible. Je t’ai dit « je t’aime » bien plus de fois que je ne l’ai dit dans toute ma vie. Et pourtant, c’est ce que je dis le plus à tes frères, ta sœur et ton père. Alors ça semble compliqué. Voire impossible. Tu grandis. Tu agites tes petits pieds, tes mains, tu nous suis du regard. Alors que ta saturation descend à 20. Tu devrais être un légume. Mais non. C’est dingue. Voire impossible. Tu prends tes biberons, tu sais bien les réclamer. Alors que les médecins te surveillent pour te mettre une sonde. Mais non, tu n’en n’as pas besoin. C’est hallucinant. Voire impossible.

« Impossible ». Un mot qui n’existe pas avec toi. Car 2 mois et une semaine après ta naissance, on nous annonce l’inimaginable. Tu vas vivre. Ton cœur ne va pas mieux, non. Mais ton corps s’est adapté. Tu as lutté. Et tu as vaincu. Nos peurs sont effacées. Tu ne seras pas un légume. Tu vas apprendre. A ta vitesse. Aidée de tes frères et sœurs. Aidée de nous. Tu auras une épée de Damoclès toute ta vie. Ton cœur peut te lâcher. Mais tu es là. C’est ce qui compte. C’est ce qu’on voulait. Tu seras entourée d’un amour si fort que nous détruirons tous les murs qui se dresseront sur notre chemin. Nous franchirons les barrières. Une à une. Et nous serons heureux à 6.

Une petite fille qui nous a déjà tellement apporté, et qui continuera de mettre du soleil dans la vie de tout ceux qui n’auront pas peur de l’approcher. Une petite fille qui est un vrai miracle. Une petite fille qu’on aime à en crever. Une petite fille qui vient sublimer notre famille. Nous sommes complets. Nous avions tellement d’amour à donner, qu’ils nous ont fait ce cadeau : un être de lumière qui ne demande et qui ne donne que de l’affection.
Une petite fille avec un chromosome en plus. Celui de l’amour.

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