On entend souvent, en parlant d’untel ou d’unetelle, il/elle est fort/e. Il/elle peut tout surmonter. Il/elle est dur/e. Et si on se trompait ? Et si chacun portait un masque pour faire face au monde ? Aux autres ? Et s’ils ne nous racontaient simplement pas ce qui se passe au sein de leur foyer, dans leur cœur ? Une personne souriante ne nage pas forcément dans le bonheur. Une personne qui ne vous raconte pas ses problèmes ne vit pas forcément sans embûche. Une personne généreuse ne croule pas forcément sous l’or. Et, à contrario, celle qui se plaint n’a pas forcément plus de soucis que son voisin que l’on n’entend pas.
Toute ma vie, on m’a qualifiée de personne forte. De personne souriante. Le clown qui racontait si bien les blagues. Celle à l’aise sur une scène de théâtre. La fille sociable. Qui fait presque tout par elle-même. Qui ne demande pas d’aide. A qui rien de grave n’arrive. Sauf que je suis comme tout le monde.
Alors, si être forte signifie ne pas montrer quand ça ne va pas, et bien oui, je suis forte. Car étaler ses états d’âme de dépressif aux yeux de tous, je ne le fais pas. Se plaindre à longueur de temps, voir tout le temps le pire, cela ne me ressemble pas. Demander de l’aide, je n’aime pas ça. Poser des questions pour comprendre le fonctionnement de quelque chose, je préfère chercher par moi-même. Les dépendances, qu’elle qu’en soit la forme, j’associe cela à une marque de faiblesse. Un non-contrôle de soi. Vous estimerez peut-être que je suis dure. J’appelle cela de l’exigence. Oui, je suis exigeante, mais je le suis avant tout avec moi-même. Je vous répondrai toujours que je vais bien. Que je gère. Pas que j’ai une vie parfaite, comme certains semblent le croire, mais simplement que je ne trouve pas nécessaire d’étaler mes petits bobos aux yeux et oreilles de tous. Si un jour je vous réponds que ça ne va pas trop, c’est que je suis au bord du gouffre. Si un jour je vous dis que j’ai mal, c’est que la douleur est très très vive.
Si vous creusez un peu, si vous insistez, alors je vous répondrai que tout va bien. Si vous êtes là tous les jours, si vous vous souciez réellement de me connaître profondément, alors peut-être que je vous parlerai. Je vous parlerai de mes 2 années de boulimie. Je vous parlerai de cette période où je me lacérais les bras. Je vous parlerai de ce temps où je me détestais tellement que je pleurais tous les soirs dans mon lit, en priant pour qu’il m’arrive quelque chose. Je vous parlerai de cet ex petit ami qui a essayé de détruire tout le peu de confiance en moi que j’avais, qui a essayé de m’éloigner de tout le monde, qui m’a fait sentir moins que rien. Je vous parlerai de ce viol conjugal que j’ai subi, sans me rendre compte que cela en était un. Je vous parlerai de ma fausse couche. Je vous parlerai de cet avortement que j’ai été obligée de faire, et qui me hante encore la nuit. Je vous parlerai de cette peur de l’abandon que j’ai, totalement irrationnelle. Je vous parlerai de moi, complètement démunie face aux crises de mes enfants. Je vous parlerai de cette image que j’ai de moi-même. Je vous parlerai de ce reflet que je déteste. Je vous parlerai de ce manque que je ressens, ce trou dans mon cœur et dans ma vie qui n’a pas été comblé depuis la mort de mes grands-parents. Je vous parlerai de cette crainte de décevoir.
Si vous creusez un peu, vous comprendrez que chacun laisse voir ce qu’il a envie que les autres voient. Parler sur la vie des uns, spéculer sur ce qui se passe dans le foyer des autres, imaginer n’importe quoi du quotidien de chacun, tout ceci ne sert à rien. Car vous vous trompez. Vous perdez du temps, vous vous faites du mal, et vous éloignez ceux dont vous parler. Petit à petit. Ils finiront par ne plus supporter ces cancans, ces fausses informations sur eux. Le peu qu’ils vous confiaient, ils vous le retireront.
Les personnes dites « fortes » sont comme tout le monde. Nous avons besoin de compréhension et de présence, comme tout le monde. Nous n’avons pas une vie plus facile que ceux qui se promènent avec des yeux de cocker collés au visage. Nous n’avons pas besoin de vos « toi, ça va » ou « toi, tu gères », et encore moins d’entendre vos peurs ou vos craintes pour cet autre qui semble si instable, si fragile. Nous ne sommes pas des bouées de sauvetage. Nous ne sommes pas là pour encaisser ce que les autres ne sont pas capables d’encaisser. Nous ne sommes pas là pour aider toutes les veuves et les orphelins. Nous ne sommes pas là pour nous saigner afin que vous vous sentiez mieux. Nous avons aussi nos problèmes mais nous avons choisi de ne pas vous embêter avec. Simplement.
Enfin, moi je dis ça…